Dominique Perrin partage son expérience de formation à l'école de la montagne Yuntai en Chine.
VOYAGE AU CŒUR DE SOI
COMMENT RETROUVER LE CHEMIN MENANT A LA FORCE ET A LA CONFIANCE EN SOI
Pour la seconde fois en moins d'un an, je me rendais en Chine et franchissais la porte de l'Ecole internationale de Culture et d’Arts Martiaux de Yuntai Shan située au cœur d'un imposant massif montagneux dans la province de Hénan.
La première expérience que j'avais vécue dans ce lieu m'avait énormément nourrie. En quittant l'école au mois de juillet dernier, je savais au fond de moi que j'y reviendrais bientôt. C'était une évidence, une certitude !
La vie réserve parfois de belles surprises à qui sait les recevoir ! Aussi faut-il avoir confiance, rester positif et actif, quelles que soient les épreuves que l’on rencontre sur le chemin. J'ai 59 ans et lorsque je songe aux années passées, je suis infiniment reconnaissante pour tout ce que la vie m'a offert : beaucoup de joie, de belles rencontres, des expériences enrichissantes, de l'amour, des amitiés sincères, d’innombrables découvertes … tout ce qui fait de moi ce que je suis aujourd'hui.
Les épreuves aussi m'ont permis de grandir ; elles ont contribué à me rendre plus forte, plus compréhensive, plus confiante, plus subtile, plus sage. Dans ce court récit, je propose de raconter mon expérience en compagnie de ce « petit caillou gris » qui s’est glissé il y a quelques années dans les rouages de ma vie. Celui qui m'a fait rencontrer Yuntai…
En mars 2019, alors que je vivais une période mouvementée à la suite d’un déménagement et d’un changement de cadre professionnel, j’étais stressée, inquiète. Je ressentais une grande fatigue et constatais des symptômes récurrents de faiblesse physique : crispations, douleurs articulaires, sensation de gêne et de lenteur dans mes mouvements, principalement du côté gauche. On me fit faire une série de tests et je passai un DATSCAN afin d'investiguer plus profondément le champ neurologique.
Les résultats de ce dernier examen révélèrent une déperdition de la voie dopaminergique pré-synaptique plus marquée à droite de mon cerveau et le diagnostic de la maladie de Parkinson fut posé. A cette annonce, je ressentis un choc semblable à un coup de foudre qui glace le cœur et fige le sang.
Mes connaissances sur cette maladie se résumaient aux seules représentations imprimées dans la mémoire collective : images terribles accompagnées d'un qualificatif non moins rassurant de maladie dégénérative ; la route vers l'enfer ! La peur, l'angoisse, l'ombre, le froid, l'isolement, le tremblement, l'immobilité... Voilà ce qui m'attendait !
Heureusement ce jour-là je n'étais pas seule : mon époux était à mes côtés, tel un solide pilier. Ce fut lui qui trouva les premiers mots de consolation et d'encouragement. Il avait raison : j'allais rapidement recevoir de l'aide et un précieux soutien de la part de mes proches et d'une équipe remarquable de soignants experts. Ma fille est le second socle qui me permet de rester debout aujourd’hui. Elle eût ses mots d'espoir qui ont ravivé le peu de chaleur nichée en mon sein : « Maman n'ait pas peur ; ton corps n'est que ton enveloppe ; c’est lui qui est affecté mais à l'intérieur, tu es toujours la même ».
Ce jour-là je compris que j'étais toujours vivante et qu’une lueur brillait encore au plus profond de moi. Tout n'était pas perdu et j’allais bientôt me mettre en mouvement pour rechercher cette lumière afin de la nourrir et de la faire croitre.
Le diagnostic posé, je fus orientée par mon médecin traitant vers le Centre Expert Parkinson du Centre Hospitalier Universitaire de Toulouse, une référence en termes de recherche dans ce domaine en France. La première visite fut consacrée à l’annonce de la maladie. Le médecin qui me reçut fit preuve de beaucoup de pédagogie et me communiqua des informations très précises, répondant à chacune de mes nombreuses questions : l’origine, les causes possibles, l’évolution, les symptômes, le traitement et ses effets secondaires, l’avancée des recherches, les aides possibles, …
À la suite de cette première visite, je commençai un traitement consistant à une prise quotidienne de comprimés antiparkinsonien. Mon état de santé stagnait sans que je détecte une véritable amélioration. Toutefois, l’accompagnement qui se mettait en place progressivement était une aide précieuse pour que je ne perde pas pieds. J’avais rendez-vous au CHU de Toulouse régulièrement, tous les mois puis tous les 3 mois lorsque le traitement fut stabilisé et depuis 3 ans, les visites ont lieu tous les 6 mois.
Depuis 6 ans, le Professeur Brefel-Courbon et son équipe m’aident à vivre et à avancer avec Parkinson et aujourd’hui, je vais bien. Je mène une vie tout à fait ordinaire et je prends plaisir à pratiquer de nombreuses activités. Je reste active physiquement, mentalement et spirituellement ; en un mot, je suis vivante. Voici comment j’ai réussi à évoluer positivement avec la maladie.
Les 2 premières années furent assez difficiles car j’exerçais toujours mon activité professionnelle : j’avais la charge de la direction d’une école maternelle et d’une classe de petite section. Durant la période de pandémie, la situation fut d’autant plus compliquée. Je devais assumer de nombreuses responsabilités et il me fallait être très réactive et efficace pour répondre aux exigences sanitaires tout en maintenant un climat de confiance au sein de la communauté éducative. Toutefois, mon investissement au sein de l’école a fortement contribué à me redonner confiance. En dirigeant un établissement réunissant plus de 200 élèves et une équipe de 14 professionnels, je me suis prouvée à moi-même que j’étais toujours capable de mener un projet professionnel. Pour autant, je mis du temps à parler de ma maladie en dehors de la sphère privée médicale et de mon cercle familial rapproché. Je n’acceptais pas l’idée de ne plus être la même, j’avais presque honte de moi. J’avais l’impression qu’en dévoilant ma maladie, le regard des personnes avec qui j’évoluais quotidiennement allait changer et que j’allais devenir vulnérable, fragilisée, moins crédible car moins forte.
C’est à ce moment-là que le Dr Brefel me proposa d’intégrer le programme d’éducation thérapeutique mis en place au sein du Centre Expert Parkinson du CHU de Toulouse. Ce dispositif propose une palette de soins modulables en fonction des problématiques des patients. En ce qui me concerne, un entretien ciblé sur mes besoins et une évaluation de ma posture furent réalisés par le médecin et un psychologue. J’évoquai à cette occasion l’aspect central de ma personnalité : la nécessité de comprendre pour pouvoir maîtriser les situations et le refus d’être passive face à ma maladie. J’avais besoin de participer activement au traitement. En mai 2021, le professeur me proposa alors d’intégrer un protocole de recherche active en sociologie traitant de la problématique de Parkinson, une recherche qualitative franco-canadienne basée sur des histoires de vie pour mieux comprendre les besoins des personnes atteintes de cette maladie. Cette étude a fortement contribué à la reconstruction de mon projet de vie. Le matériel mis a disposition pour pratiquer l’auto-évaluation de mon parcours de vie depuis le début de la maladie, les entretiens privés avec les chercheurs, les retours d’informations et la synthèse effectuée en fin de recherche m’ont permis de faire une analyse objective de la situation et m’ont ouvert la porte vers de nombreuses possibilités. Parallèlement, les séances d’éducation thérapeutique réalisées par une infirmière référente formée aux techniques d’hypnothérapie furent mises en place. Une relation de confiance s’établie rapidement entre elle et moi et je continue encore aujourd’hui à avoir recours à ses précieux conseils face à une situation problématique.
Témoignage à la suite de la mise en place de l’accompagnement thérapeutique au centre expert Parkinson du CHU de Toulouse :
« L'excellente posture d'écoute de l'infirmière accompagnatrice permet de libérer la parole. J'exprime ce que je ressens, mes émotions ; cela m'aide à cheminer avec la maladie, en acceptant mieux les changements qui sont survenus dans ma vie. Je regagne en confiance et cela me permet à nouveau de me mettre en projet. Par ailleurs, les conseils prodigués avec justesse et bienveillance me permettent d'adapter mon mode de vie. C'est une aide précieuse, un très beau programme, un projet personnalisé. MERCI ! » – MARS 2022
Depuis, j’ai participé à d’autres protocoles de recherche tout aussi intéressants : cet engagement au sein d’études universitaires a pris place dans ma démarche thérapeutique. De manière générale, la participation active au sein des équipes, les contacts et les échanges avec les chercheurs m’aident à mieux me connaitre ; en comprenant davantage mes ressentis, je suis plus en mesure d’ajuster ma posture.
Ces dispositifs permirent de libérer la parole et je pus alors commencer à parler de ma maladie en dehors de la sphère privée. Je fus alors surprise de constater l’étonnement de ceux qui découvraient mon état de santé car beaucoup pensaient que cette maladie ne permettait pas de vivre normalement. Et progressivement, le regard que j’avais sur moi changea.
Je pris conscience de la place prépondérante que j’occupais dans le traitement thérapeutique. Parkinson fait partie de moi et plutôt que de la combattre, de la repousser, il me fallait trouver la voie pour la canaliser, l’intégrer, l’absorber. Il me faullait trouver la voie de l’unité. « Restez toujours en mouvement ». Voici le conseil si précieux que m’avait donné un médecin avant même que le diagnostic ne soit confirmé…
« Restez toujours en mouvement ». Une phrase que je récite comme un mantra pour me rappeler à quel point il est important de trouver le temps d’être à l’écoute de soi, non pas de manière égoïste, mais par respect pour ce que la vie nous a donné et qui est si précieux. Nous avons le devoir de prendre soin de notre corps comme de notre esprit. Rester en mouvement, c’est se mouvoir physiquement mais c’est aussi s’élever, c’est se nourrir intellectuellement et spirituellement. Une rupture, un évènement marquant sont souvent nécessaires pour provoquer cette prise de conscience : rester en mouvement, cheminer dans la vie, ce n’est pas foncer la tête baissée et l’esprit fermé. C’est cultiver sa capacité à s’interroger, à se projeter, à s’émerveiller, à s’intéresser à l’autre et à ce qui nous entoure, c’est être capable de se décentrer pour voir et entendre sous différents angles, c’est ouvrir son cœur à soi et à l’autre pour mieux se comprendre.
« Restez toujours en mouvement ». Une phrase qui est au centre de ma quête et qui m’amena lentement sur la route de Yuntai Shan.
Les enjeux face à la maladie sont multiples : au 1er plan, il est important de rester en mouvement physiquement et redonner à ses gestes l’équilibre, la fluidité, la légèreté, la grâce. Mais il est également nécessaire d’entretenir et de développer ses capacités intellectuelles et spirituelles. Ma démarche consiste à investiguer les domaines que je pratique avec plaisir et qui contribuent à mon épanouissement : les activités artistiques, les échanges culturels et la méditation. Je pratique quotidiennement 3 disciplines qui sont complémentaires, indissociables : la musique, la méditation et le qi gong.
La musique m’accompagne depuis toujours. Enfant, elle était présente à la maison grâce aux chansons populaires que l’on fredonnait ensemble, aux disques que j’écoutais en boucles, aux émissions qui passaient à la télévision et à la radio. Je me souviens de mon premier lecteur de cassettes, de l’orgue électronique que mon frère m’avait offert pour Noel, de ma première guitare … Jeune adulte, le monde de la musique dite « classique » s’est ouvert à moi, telle une source à laquelle l’on s’abreuve sans fin… Depuis, la musique est pour moi un objet de concentration, de réflexion, de recherche, de travail, d’endurance. Elle me nourrit, m’inspire, me procure du bonheur. Elle m’offre le privilège de participer à des créations artistiques collectives et de partager ce plaisir avec d’autres personnes, quelques soient leurs origines ou leurs croyances, car la musique est la langue universelle qui parle aux cœurs. Elle est bonté, elle est beauté. Elle permet de s'émouvoir et de laisser jaillir de ses yeux des gouttes de bonheur. La musique nait du vivant et l'homme est capable de créer de si belles choses : langage de l'âme, vibration symbiotique des cœurs, souffle de vies, construction d'édifices sonores, chefs d'œuvres orchestrés, égrégores éphémères. A travers la pratique quotidienne du chant et de mon instrument, je suis en mouvement, mon corps vibre, mon souffle circule, mon âme chante et mon esprit reste éveillé. Je pratique le qi gong et le taiji quan depuis plusieurs années et de manière quasi quotidienne depuis que j’ai cessé mon activité professionnelle il y a 3 ans.
Je pratique le qi gong et le taiji quan depuis plusieurs années et de manière quasi quotidienne depuis que j’ai cessé mon activité professionnelle il y a 3 ans.
Le taiji-quan et le qi gong sont des pratiques ancestrales venant de Chine. Ces arts internes contiennent une philosophie qui établit que la seule voie qui mène à la sagesse consiste en l’harmonie entre l’homme et la nature. La pensée holistique accompagnant le taoïsme enseigne que l’homme doit être naturel, spontané, il ne doit pas avoir un comportement en désaccord avec les lois naturelles. C’est ce que les premiers moines appelaient le principe “agir sans agir” (Wei wu wei).
Le taiji quan est un art martial qui vise plus à développer la puissance corporelle mais qui utilise aussi sur les principes du qi gong. Qi évoque l’énergie vitale. Ce terme peut aussi signifier « air » ou « souffle ». A partir de la gestion du souffle et des mouvements souples et circulaires du corps, on apprend à orienter le Qi dans le Tan Tien, notre centre « psychophysique » que l’on nomme également le « champ du cinabre ». Apprendre à sentir l’énergie emmagasinée au niveau du Tan Tien est une base fondamentale dans la pratique des arts internes. Il est écrit que les alchimistes taoïstes l’utilisaient pour produire l’élixir de l’immortalité. Enfin, la pratique régulière et en conscience du qi gong permet de mieux comprendre l’origine de l'harmonie du mouvement. Le Qi, par la voie du souffle, parcourt l’intérieur de l’organisme via les méridiens énergétiques, un des fondements de la médecine traditionnelle chinoise.
Gu Meisheng dans son ouvrage « le chemin du souffle » écrit :
" Ainsi, grâce à une pratique assidue et répétée du qi gong, on comprend que lorsqu’il est question d’ouverture et de fermeture, ce ne sont pas des parties du corps qui s’ouvrent et qui se ferment, mais le souffle ; puis en progressant dans la pratique, on comprend que ce n’est pas le souffle qui s’ouvre et puis se ferme, mais le yi, l’image intérieure, guide du souffle, lui-même guide du corps. Puis progressant encore, on comprend que cette ouverture et cette fermeture ne viennent pas de l’image intérieure, mais de ce quelque chose d’encore plus subtil, ce vide médian, nécessaire, nous dit Laozi, pour que la roue d’un char puisse tourner, ou qu’une cruche puisse avoir son utilité. »
Cette pratique, associée à la méditation et à la médecine traditionnelle chinoise (acupuncture) est la source de mon équilibre physique et émotionnel. Elle m’aide à me recentrer et à mieux me connaitre. Je l’appréhende comme un art, à la recherche constante du souffle, d’un équilibre et d’une esthétique par la beauté qui résulte de la précision et de la fluidité du geste.
J’aime me promener dans la nature. Je m’y sens bien et y trouve la paix et l’équilibre. Il m’arrive souvent de ramasser une petite pierre, un coquillage et de les garder un instant au creux de la main. Je pense que la vie sème de petits cailloux sur notre chemin. A chacun d’entre nous de savoir les cueillir et d’en faire bon usage. La vie a mis sur mon chemin une petite graine qui fait partie de moi et qui m’a conduite jusqu’à Yuntai Shan International Culture And Martial Arts School. Je ne pensais pas être capable de partir si loin toute seule et pourtant je l’ai fait à 2 reprises. Mon premier séjour m’a permis de retrouver le chemin vers mon centre. J’ai regagné force et courage grâce à la pratique exigeante d’exercices physiques encadrée et accompagnée. Actuellement, je séjourne pour la 2ème fois à Yuntai Shan. Je continue à y apprendre en contexte la philosophie du qi gong. Je la vis. Depuis mon premier séjour, ma quête est prise en considération et c’est avec beaucoup de tact et de gentillesse que les connaissances liées à cette pratique ancestrale me sont progressivement dévoilées. J’en suis infiniment reconnaissante.
La pratique du qi gong et du taiji quan me fait ressentir que cette énergie vitale est salvatrice : diminution des douleurs musculaires, articulaires, des tremblements, posture plus ancrée, centrage, meilleur équilibre, meilleure gestion du stress et des émotions, force retrouvée. Le qi gong, bien plus qu’un simple exercice physique, est en lien avec la santé, le mental, l'esprit et le méditatif. Lorsque je pratique, j’ai conscience que mon corps en mouvement nourrit mon esprit, et mon esprit, en se centrant sur le mouvement, contribue à une meilleure connaissance de moi-même. Mais bien plus, c’est à travers cette pratique et l’acquisition progressive de connaissances que je trouve progressivement la voie vers la guérison.